L'animal que donc je suis et autres oeuvres 2019

Exposition de Ron Haselden
du 6 juillet au 6 août 2019

" L'animal, quel mot!
C'est un mot, l'animal, c'est une appellation que des hommes ont instituée, un nom qu'ils se sont donné le droit et l'autorité de donner à l'autre vivant. Au point où nous en sommes, avant même de m'engager ou d'essayer de vous
entraîner à ma suite ou à ma poursuite selon un itinéraire que certains d'entre vous pourraient trouver tortueux, labyrinthique, voire aberrant, nous égarant de leurre en leurre, je tenterai donc cette opération de désarmement qui consiste à poser de façon simple, nue, frontale, aussi directe que possible ce qu'on pourrait appeler, puisque je viens de dire que j'allais poser, non point poser comme on pose avec complaisance en se regardant devant un spectateur, un portraitiste ou une caméra, mais poser des "positions", justement, des hypothèses en vue de thèses." "Souvent je me demande, moi, pour voir, qui je suis – et qui je suis au moment où, surpris nu, en silence, par le regard d’un animal, par exemple les yeux d’un chat, j’ai du mal, oui, du mal à surmonter une gêne. Pourquoi ce mal ?"

Jacques Derrida, L'animal que donc je suis, Editions Galilée, 2006, extraits

RON HASELDEN, sculpteur de lumière.

Depuis plusieurs décennies, Ron Haselden travaille la lumière, que celle- ci soit naturelle comme pour ses structures en fil de pêche construites en plein champ, ou artificielle comme pour ses Light Sculptures constituées de tuyaux de leds dessinant des figures dans l'espace (Luminary à Brighton en 2016 et Lumières, 10 décembre - 4 mars 2018, à la Galerie de Rohan à Landerneau)

Pour les Small Boxes, cette série de petites photographies "mises en boîte" sur laquelle Ron Haselden travaille depuis 2017, il s'agit aussi de lumière et de sculpture. La lumière, c'est celle que capte l'appareil photographique de l'artiste, et le geste du sculpteur est celui du travail de découpe, de pliure, de courbure que Ron Haselden opère sur les tirages photographiques. Mais il s'agit aussi de la question du regard et du statut du regardeur. La dimension réduite des Small Boxes permet un effet de concentration du regard qui se trouve attiré par la source lumineuse captée par l'appareil photographique : la lumière qui émane d'une fenêtre ou d'un sous bois, par exemple. En ce sens, ces petites boîtes agissent comme des pièges : on s'en approche sans défiance, croyant regarder une simple photo et soudain le regardeur se trouve happé par la profondeur de l'image. Tout comme Alice au Pays des Merveilles qui part à la poursuite du lapin blanc dans le terrier, nous sommes poussés par la curiosité et plongeons dans l'image, nous y retrouvant inclus.

"L'animal que donc je suis et autres oeuvres".

Toute autre est l'expérience perceptive que propose Ron Haselden dans sa nouvelle série de Small Boxes : "L'animal que donc je suis et autres oeuvres". Ce titre est inspiré d'un texte de Jacques Derrida intitulé L'animal que donc je suis. L'exposition est accompagnée de deux extraits de cet essai publié en 2006 aux éditions Galilée. Cette nouvelle série propose entre autres des portraits d'animaux : ânes, chevaux, vaches, chiens... que Ron Haselden a croisés dans ses promenades photographiques. Certains d'entre eux nous regardent et ces regards nous renvoient à notre propre animalité créant comme le décrit Jacques Derrida dans le deuxième extrait, un malaise et un questionnement sur notre statut d'être humain et peut-être sur notre prétendue supériorité. Ici, par différence avec les autres Small Boxes, le spectateur n'est invité à rentrer dans l'image que pour en être aussitôt exclu: le regard de l'animal agit comme un miroir, qui nous interroge en toute innocence sur notre propre identité d'humain, comme le fait la grande photo "autoportrait dans un miroir" que Ron Haselden a réalisée pour cette exposition. Avec humour, l'artiste s'est photographié en train de se photographier devenant ainsi le sujet qui regarde le photographe, comme le font l'âne, la vache ou le cheval : l'animal que donc je suis... Si il y a un chemin à parcourir à la rencontre de l'animal, c'est comme le dit Jacques Derrida : "un itinéraire que certains d'entre vous pourraient trouver tortueux, labyrinthique, voire aberrant, nous égarant de leurre en leurre"... Où l'on retrouve Alice au Pays des ... leurres?